Recueillis par René Diédrich
Ses souvenirs sont bien ancrés dans sa mémoire…
Madeleine Diedrich, épouse Liégard dite « Mado », se souvient très bien du jour où elle a été expulsée de Lorraine avec toute sa famille, son père, sa mère et ses trois frères et sœurs, avec d’autres habitants de la commune, alors qu’elle n’était âgée que de 10 ans, le 10 Novembre 1940.
Le petit village de LESSY, près de METZ était calme, et ce matin-là encore plus calme que d’habitude, avant que l’on entende les soldats allemands frapper contre les portes des maisons habitées, à l’aide des crosses des fusils mitrailleurs, pendant qu’ils vociféraient : « vous avez 5 minutes pour faire vos valises !!! »Un matin, les Allemands ont embarqué les familles qui ne voulaient pas se soumettre à l’envahisseur, les expulsés ont tout abandonné, laissant leurs biens à ceux qui avaient choisi de rester sur place.
« Nous avons été dirigés vers la place du village, où un autobus en stationnement nous attendait sous l’oeil attentif d’un soldat allemand. Une fois rempli, l’autobus démarra et prit la direction de Metz. Arrivés en gare de Metz, on nous a fait monter dans un train déjà bondé. Nous étions les uns sur les autres, mais ensemble. Le train quitta la gare et prit la direction du sud. Tout le monde essayait de savoir où nous allions, les infirmières remontaient le moral aux malades et s’occupaient des enfants. Je me souviens avoir bu un verre d’eau et mangé un bol de riz !
Le train se remit en route et arrivé à Mâcon, nous avons entendu des soldats français présents sur le quai, qui à la vue du convoi entonnèrent « la Marseillaise » avec force et amour. Tout le monde était ému et les soldats sont venus embrasser les femmes, avec une pudeur extrême. Après ce petit intermède merveilleux, le train redémarra et le soir venu, il s’est arrêté à un endroit dont j’ai oublié le nom, de nombreuses personnes sont descendu du train pour essayer de dormir un peu, allongées à même le sol. Je me souviens que l’on nous a servi un repas complet et chaud.
Quelques heures plus tard, nous voici arrivés en gare de BRAM, petit village entre Carcassonne et Castelnaudary. Nous y avons passé 2 nuits, logés dans des hangars et des greniers immenses, avec de la paille et des couvertures. Après avoir pu récupérer quelques forces et éloigner un peu la fatigue, nous sommes repartis vers une destination toujours inconnue, avec un arrêt dans chaque gare. Ce fut enfin l’arrivé en gare de TREBES, où un camion nous attendait. Ce village m’a paru plus important que Lessy…. »
Devant la Mairie, Mr Sevely et son conseil municipal ont accueilli les expulsés pour leur offrir un bon repas. Ils ont fait preuve d’une extrême gentillesse envers de pauvres gens qui avaient tout perdu, et qu’ils n’avaient jamais rencontrés.
Les familles ont ensuite été accompagnées chez l’habitant. On leur offrit le logement et du matériel de première nécessité, avec beaucoup de dévouement. La solidarité a bien fonctionné.
« De quoi avions-nous l’air tous, avec nos petites valises ? »
Le temps d’adaptation fut assez rapide. Entre les élus et la population, les expulsés essayaient tant bien que mal de se faire une petite place dans la vie de tous les jours. Ce n’était pas toujours facile. Marcel et Roger, les frères de Mado étaient, l’un apprenti fraiseur à la SNCF, et l’autre apprenti chez Mr Deniort, le maréchal-ferrant. La soeur aînée de Mado, Marthe était sur le point de se marier. Mado fut inscrite à l’école libre où grâce à Mme Gamel, elle obtint son certificat d’études, sa confirmation et sa première communion. Puis avec Melle Claire Dapot qui s’en occupait, elle alla à la chorale, fit du dessin, de la couture, du théâtre.
Titine, mère de Mado était mère au foyer et Charles, le père était employé comme magasinier à la caserne Laperrine à Carcassonne. Il servait de « boîte aux lettres » entre les expulsés et leurs familles. La famille de Mado avait une grande estime pour la population de Trèbes, et lorsqu’à la libération il fallut retourner vivre à Lessy, là où ils avaient tout abandonné, Trèbes leur manquait. Trèbes aura toujours été présent dans leur mémoire, malgré 5 déménagements consécutifs.
Aujourd’hui, Mado, 83 ans réside à Trèbes. Venue s’y installer définitivement il y a 25 ans, elle vit dans un petit pavillon, entourée de ses enfants, petits enfants, arrière petits enfants, neveux et nièces. Trèbes fait partie intégrante de sa vie et Mado clame haut et fort et fièrement : Oui, Trèbes est une terre d’accueil, et elle ajoute humblement : Merci encore une fois pour tout.
Mado, à tous les expulsés de Lorraine…